Vanille de São Tomé, entretien avec Juliette et Francesco, producteurs de vanilles

São Tomé, 5 juin 2024 


Sur l'île de São Tomé, Mathilde Roellinger a passé quatre jours à travailler aux côtés de Juliette et de Francesco, producteurs de vanille afin d’en savoir plus sur cette origine de vanille que nous proposons depuis deux ans dans notre cave à vanilles.


En juin c’était le pic de la récolte, Francesco amenait la vanille le matin, récupérée auprès de leur 50 producteurs et la matinée était consacrée à la transformation de la vanille orchestrée par Juliette (triage, rinçage, étuvage, séchage au soleil, massage…), tandis que l’après-midi était dédiée aux visites sur le terrain dans les plantations de vanilliers.

Mathilde a réalisé cet entretien avec Juliette et Francesco dans l’atelier de transformation. 

Une odeur de vanille flotte dans l’air. 


Mathilde: Si vous étiez une épice ? 

Francesco et Juliette - La vanille ! 

Si vous étiez un arbre ?

Francesco – Un baobab. 

Juliette – Un cacaoyer.

Si vous étiez une planète ou une étoile ? 

F – La lune.

J – La terre.

Si vous étiez un parfum ? 

F – L’ylang ylang.

J – La rose.

Un dîner parfait ? 

J – Un dîner en amoureux… 

F – Avec des raviolis ! 



Un premier souvenir avec la vanille ?


F – Pour moi c’était ici à SãoTomé. La première plante que j’avais trouvée en arrivant il y a 10 ans, c’était un plan de vanillier chez un vieux monsieur. J’étais vraiment content, j’avais ce rêve de faire de la vanille un jour ; alors, trouver ce premier plan pour faire des boutures ensuite, c’était un peu comme un rêve qui se réalisait. J’avais ensuite lancé un premier projet avec un ami à moi. 

J – Je dirai que mes premiers souvenirs avec la vanille remontent à l’âge de l’enfance, celui où l’on commence à se parfumer. J’ai en mémoire le parfum de la petite fille qui commence imiter sa maman ; j’ai vraiment une odeur en tête, un parfum qui me fait sourire.

F – J’ai énoncé tout à l’heure mon premier contact avec la vanille, chronologiquement ; mais si je devais citer le souvenir le plus marquant, c’est le jour où, au cours d’une discussion, nous avons pris la décision de nous lancer ensemble ; nous étions dans un petit café vieillot, pour ne pas dire pourri, en face d’une station-service qui n’existe plus maintenant, dans le centre-ville. Ça a été un moment fondateur pour moi. 

J – Nous étions à la tombée de la nuit, il commençait à y avoir des embouteillages, une chaleur presque lourde, des klaxons de voiture et il fallait se décider : rentrer en France ou rester avec Francesco qui avait déjà fait des tests sur la vanille sur place ? Il y avait déjà eu beaucoup de discussions en amont, mais celle-ci était vraiment fondatrice. Et puis, nous étions à un carrefour directionnel, relationnel, il fallait faire un choix. 



Aujourd’hui, cela fait 6 ans que votre entreprise dédiée à la vanille de São Tomé existe. Quels sont vos rôles respectifs ? 


J – Cela fait 3 ans que je m’occupe de la partie transformation. C’est la partie post-cueillette : je réceptionne la vanille verte que Francesco va chercher chez les différents producteurs. Puis, je fais toute la partie préparation et affinage. C’est un processus qui dure plus d’une année et je travaille avec une petite équipe le matin. 

Nous démarrons avec un tri des gousses par taille et par calibre. Après le rinçage des gousses vertes, nous réalisons un échaudage à 65°C entre 2 et 3 minutes. Après, il y a une fermentation de 48 heures ; un séchage au soleil pendant une dizaine de jours : 2 heures le matin, puis remise en caisses. Ensuite, il y a un séchage intérieur durant deux à trois mois soit à l’ombre où dans une pièce ventilée. Après, il y a un affinage de neuf mois en caisses, avec un massage des gousses. Le massage se fait aussi pendant la période de séchage intérieur et j’ai formé Romy qui a vraiment une sensibilité particulière dans ses gestes. Enfin, il y a la partie commerciale et exportation en France. 



Et toi Francesco, peux-tu nous raconter ton quotidien avec les producteurs de vanille? 


F – Aujourd’hui, nous travaillons avec 50 producteurs. Nous avons démarré avec 4 producteurs. Avec mon équipe, nous travaillons à garder de bonnes relations avec tous nos producteurs. Nous réalisons ensemble des prévisionnels de production, avec des avances. Ma mission, c’est de livrer à Juliette la bonne quantité de vanille verte dans les meilleures conditions possibles. Nous avons mis en place au fur et à mesure un cahier des charges afin de sélectionner la meilleure maturité, le bon calibre… Il y a aussi la gestion de toute la partie logistique et le suivi des plantations : nous avons mis en place un manuel des bonnes pratiques afin d’assurer la meilleure qualité et le suivi du bio. Il y a enfin toute la partie administrative et les relations avec le ministère de l’agriculture. Je gère la partie ici à Sao Tomé et Juliette prend le relais pour la partie export en France.  



Quelle étape préfères-tu Juliette au cours de la transformation ? 


J – L’affinage j’adore. C’est la dernière étape avant le conditionnement et la plus délicate, c’est là que la vanille va réveiller ses arômes secondaires et définir son identité propre par rapport au terroir et à notre préparation. Autour du mois de décembre toute notre rue sent la vanille ! La vanille nous apprend à être patients. 

Quelle est la perte d’eau entre la vanille verte et la vanille sèche ? 

J – Je dirai que la gousse perd 1/5 de son poids en eau. 


Et toi Francesco, qu’est-ce que tu préfères dans cette activité ? 


F – J’aime beaucoup les moments de récoltes qui se passent bien. Avec les années qui passent, j’apprécie les améliorations de la qualité dans les plantations grâce au travail de nos producteurs. La valeur ajoutée est certes dans la transformation mais aussi, dans l’amélioration continue de la qualité des gousses, toujours un peu plus chaque année. Par exemple l’année passée, on a eu un taux de vanilline de 3%, c’était entièrement grâce au travail de Juliette. Cette année, le taux de vanilline est supérieur et je suis fier à titre personnel parce que je sais que la qualité des gousses résultant du travail de bonnes pratiques dans les plantations a permis à Juliette d’aller encore plus loin dans la transformation.  



Avez-vous quelque chose à nous révéler concernant la vanille qui ne serait pas assez mis en avant ? 


J – J’ajouterais un mot sur le terroir. C’est vrai que nous sommes habitués à la vanille de Madagascar, qui a été très médiatisée et qui est le plus grand producteur mais il ne faut pas hésiter à utiliser d’autres vanilles. D’un terroir à l’autre, les notes vont être différentes et puis cela permet de voyager aussi. 

F – On trouve des profils aromatiques intéressants dans d’autres lieux qu’à Madagascar ; à la Réunion par exemple, et même ailleurs. 



Dernière question, comment définiriez-vous votre vanille avec vos mots et votre sensibilité ? 


F – J’apprécie ses notes de cacao, je la trouve un peu caramélisée. En cuisine, je l’adore avec des crevettes flambées au rhum. Il ne faut pas limiter les utilisations de la vanille à des glaces à la vanille, des panna cotta ou des crèmes anglaises. On peut aller tellement plus loin, il ne faut pas hésiter à l’utiliser avec des plats salés. 

J – Elle a des notes de cacao, elle a un côté un peu fruité, de petits fruits rouges. J’insisterai sur le fait que, de la même façon qu’il y a des cafés de spécialités, des cacaos d’origine, il y a des vanilles au pluriel. Le travail des prochaines années, c’est de se pencher sur un protocole de dégustation propre à la vanille.