Vanille et chocolat, deux épices du Mexique
Février 2023
Cet extrait de mon carnet de voyage au Mexique, que j’ai entrepris en février 2023, porte sur la vanille et le chocolat. Les piments seront le sujet d’un autre article. Dans ce pays, l’histoire de la vanille est mêlée à celle du cacao, mais ils proviennent d’endroits différents du pays. Ce sont deux épices qui étaient utilisées dans les temps anciens dans un même breuvage sacré pour communiquer avec les dieux. J’ai écrit ce carnet une fois revenue en France à partir de mes notes glanées sur le terrain à la volée. Écrire sur son voyage, alors que l’on est rentré chez soi, cela donne une satisfaction : celui de le vivre à nouveau.
Dans la forêt des vanilles des origines
Depuis 15 ans, mon père travaille avec Elias, ancien ingénieur, qui a consacré sa vie à la recherche des variétés endémiques des vanilles mexicaines. Le fils d’Elias, Arturo, aide son père depuis des années et aujourd’hui il a repris les rênes du projet. Il est donc important que je fasse sa connaissance. Après une étape de quelques jours à Mexico, je voyage en bus de nuit jusqu’à Tuxtepec, une ville située au nord de l’État de Oaxaca à la frontière du Veracruz. La ville est entourée de champs de canne à l’infini. Il n’y a pas de culture de vanille dans cet environnement urbain. Toutefois, c’est ici qu’Arturo et son père préparent dans un climat sec favorable, la vanille verte cueillie dans la forêt située à 3 heures de route.
Le lendemain matin, nous roulons pendant 3 heures pour atteindre ce village dans la forêt du Chinantla. C’est dimanche, et la chanson de Lou Reed « Perfect day » s’ajoute à la beauté des paysages que nous traversons. Après le plat sans fin des champs de canne, les montagnes du massif de la Chinantla sont devant nous : immenses, vertes et somptueuses.
A l’orée du village, Arturo nous emmène voir un pied de vanillier sauvage de la variété Planifolia Colibri. La plante est grasse d’un verre intense, c’est une liane qui doit faire 10 mètres et qui s’entrelace sous formes de cercles larges avec les arbres de son entourage. Il est difficile de s’enfoncer plus loin dans la forêt, tant elle est dense et épaisse.
J’ai le privilège de cueillir un balaie (une grappe) de 6 gousses de vanilles qui n’avaient pas été récoltées. Contempler ma cueillette est un moment magique : ces gousses longues de 18 cm, vertes, denses et parfaitement lisses comme de grands haricots verts sont un cadeau de la nature. Le parfum est léger, encore invisible. La préparation de la vanille va donner du parfum à la gousse. Cela désigne toutes les étapes de travail sur la gousse verte pour la métamorphoser en une gousse avec une couleur foncée de chocolat. Au Mexique, les savoirs autour de la vanille se sont perdus. Elias et Arturo ont dû beaucoup expérimenter pour aboutir à un procédé de transformation satisfaisant.
Le parfum des vanilles de la forêt est singulier, sauvage. La concentration en saveur est étonnante avec beaucoup de notes fraîches et végétales. J’aime utiliser cette vanille pour une crème anglaise avec une île flottante.
Je n’ai pas eu la chance de voir le colibri, mais j’ai entendu son chant en quittant la milpa d’Arturo. Selon la mythologie précolombienne, les guerriers qui mourraient sur le champ de bataille accompagnaient le soleil dans sa course de l’aube au zénith et ils se transformaient en colibri l’après-midi…
Sur la route du chocolat
L’État du Tabasco est une terre de marécages qui concentre la moitié des réserves d’eau du pays. Beaucoup d’eau et une forte chaleur, c’est le climat idéal pour la culture des cacaoyers. Aujourd’hui, 70% des plantations de cacaoyers du Mexique s’épanouissent dans cette région. A cet endroit, l’une des plus anciennes civilisations précolombiennes, les Olmèques (1200-400 avant JC) cultivaient déjà ces arbres vénérés. Les Mayas Chontal, qui étaient de grands commerçants, ont poursuivi cette culture dans le Tabasco. Les fèves de cacao étaient tellement précieuses qu’elles servaient aussi de monnaie d’échange.
La Hacienda de la Luz, construite en 1885, est réhabilitée en 1920 par Otto, le grand-père d’Ana. Ce médecin a commencé à faire du chocolat dans les années 40. La maison et sa décoration chargée d’histoire est restée intacte. Aujourd’hui la fabrication du chocolat est toujours réalisée sur le domaine dans un atelier moderne.
Les fèves fermentées sont mises à sécher pendant plusieurs jours au soleil puis torréfiées. Les fèves sont concassées et débarrassées de leur peau pour garder le grué de cacao. Le grué est mélangé avec un sucre de canne et un peu de beurre de cacao. Durant cette étape du conchage qui est une forme de pétrissage, il n’y a pas d’ajout de lécithine de soja. Dans l’atelier, flotte une odeur irrésistible de chocolat fondu. Les lingots de couverture de chocolats sont acheminés à Cancale par bateau dans un container à température dirigée et nous les travaillons en tablettes dans notre laboratoire dédié au chocolat.
Une tablette de chocolat criollo d’Alejandro a la couleur d’une tablette de chocolat au lait et offre des notes de vieux rhum épicé, toute en élégance.
La forêt du Chinantla et l’Hacienda de la luz dans le Tabasco forment des îlots de résistance de culture et de biodiversité qu’il faut protéger contre les assauts de l’urbanisme et du tourisme.
Elias, le producteur de vanille, m’a confié un proverbe des Chinantecos : « Lorsqu’une espèce de plante disparait, c’est une part de notre langue et de nous-mêmes que nous perdons à tout jamais ».
Mathilde Roellinger, mars 2023
Crédit photo: Mathilde et Arturo