Le Yakumi par Ryoko Sekiguchi
Après le curry japonais, nous avons la joie de travailler de nouveau avec l’écrivaine Ryoko Sekiguchi. Le Yakumi Voyageur est une création singulière, subjective.
Avec ses mots et sa poésie, Ryoko Sekiguchi nous raconte la signification du Yakumi dans la cuisine japonaise.
Ce mot signifie « le goût du bien-être ». Yakumi vient de « yaku » la médecine, et « mi » le goût, et désignait à l’origine les ingrédients complémentaires, tels que le gingembre, la moutarde ou le fruit de jujubier que l’on ajoutait à la préparation des remèdes dans la médecine orientale. Il recouvre tous les aliments qui n’ont pas nécessairement de valeur calorique, mais qui procurent une sensation physique ou mentale agréable à la dégustation. Cela peut comprendre des herbes aromatiques comme le shiso, les jeunes feuilles de sanshô, le wasabi, ou les épices comme les poivres, les piments ou les graines de moutarde. Il peut aussi s’agir de racines et de plantes, utilisées à la fois dans les médecines orientales et dans la cuisine, telles que le gingembre ou l’ail. Le terme englobe jusqu’aux parties aromatiques des fruits, comme les zestes d’agrumes, les prunes salées et séchées, ou encore les noix, les pignons de pin ou le sésame. Même les algues peuvent rentrer dans le yakumi.
Ce concept, qui paraît sans doute un peu étrange ou fourre-tout vu d’ici, car il ne suit aucun ordre botanique ou de catégorie particulière, me semble reposer sur une vision propre à la cuisine japonaise. Il existerait d’une part des ingrédients « majeurs », qui rassasient et apportent au corps l’énergie dont il a besoin pour fonctionner. Et de l’autre, il y aurait ces ingrédients éthérés, qui s’offrent à nous comme des nuages.
L’âme de la cuisine japonaise réside en partie dans ces présences aériennes et sensorielles. Elles amènent avec elles l’air du printemps, l’esprit des feuilles, les confidences de la forêt, et sont capables de retranscrire la pureté de l’eau. Si la cuisine commence là où on dépasse le stade de manger juste pour se remplir l’estomac, on peut imaginer que la cuisine japonaise, elle, est née au moment où l’on s’est mis à parsemer quelques feuilles parfumées sur des grains de céréales cuits ; qu’on a incorporé des zestes de fruits à la cuisson d’un poisson ; ou quand on a déposé quelques noix concassées sur des taros à la vapeur. Ces gestes anodins, sans doute pas nécessaires à notre survie, mais indispensables pour rendre la vie ne serait-ce qu’un peu plus savoureuse.
Dans la cuisine japonaise, le yakumi est partout ; en accompagnement de nouilles soba ou udon, sur le tofu, les légumes à la vapeur, avec les sashimis, sur les viandes grillées, le riz, dans les bouillons, les ragoûts de poissons… Loin de faire de l’ombre aux saveurs des plats, il les met délicatement en avant et apporte du relief.
Le yakumi, lui, peut être une pause (1) pour nos sens, une douce mélodie jouée en pizzicato. Il n’est pas « impressionnant » dans le sens où il n’est pas là pour épater, mais pour être un ami discret, toujours fidèle.
C’est cette ouverture, ce mouvement joyeux que j’aimerais transmettre dans la cuisine.
Ryoko Sekiguchi,
Octobre 2023
(1) En japonais, il existe l’expression « le repos des baguettes ». On l’emploie quand un petit plat au goût léger est servi au cours du repas et permet d’apprécier ceux au goût plus prononcé. Cette attention à ne pas vouloir saturer le palais est très présente dans la cuisine japonaise.
Crédit photo: Anne-Claire Héraud